Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais depuis un peu plus de six mois, les scénaristes d’Hollywood sont en grève, rejoints par les acteurs et les figurants. Ce long conflit social passe encore inaperçu chez nous, les blockbusters sont sortis cet été comme prévu et la plupart des séries étaient tournées en avance, donc cela n’a pas changé grand-chose. Pour le moment.
Il ne s’agit pas pour moi d’évoquer dans cet article les causes structurelles de cette grève, liée à l’organisation du travail de ces professionnels aux USA et à leurs liens avec les grands studios. Je veux m’intéresser à l’une de ses causes, qui est l’impact actuel des technologies d’Intelligence Artificielle dans la création artistique.
En effet, parmi leurs revendications, les grévistes dénoncent l’utilisation massive des technologies d’IA génératives dans la création artistique et demandent une protection de leur activité.
On se rend compte à travers cet événement que le développement de ces technologies, qui passaient il y a un an pour une aimable curiosité et un joyeux passe-temps de geeks, a dès à présent des conséquences sur l’évolution de certaines professions.
Je ne sais pas exactement ce qu’il en sera du résultat des négociations entre les parties prenantes pour cette grève, mais je sais une chose : dans l’histoire de l’humanité, il n’y a aucun exemple d’une nouveauté quelconque abandonnée parce qu’elle était susceptible de remplacer certaines professions. Lorsqu’une technologie fait la preuve de son intérêt, elle est adoptée et utilisée. Il va donc falloir faire avec, que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore.
De quoi parle-t-on quand on parle d’Intelligence artificielle ?
Je crains donc que les outils d’Intelligence Artificielle soient désormais présents dans ce type de création pour longtemps. Certains diront que cela va tuer l’originalité dans le cinéma hollywoodien, d’autres répondront qu’il n’y avait de toute manière plus grand-chose à tuer depuis de nombreuses années…
Pour ce qui est de la création artistique, je fais partie de ceux qui espèrent qu’il restera une place pour des créations humaines originales en littérature, cinéma, télévision, etc.
Mais au fait, déjà, il serait peut-être nécessaire de savoir de quoi on parle lorsque l’on parle d’IA génératives : il s’agit d’outils permettant de créer, donc de générer quelque chose : du texte, comme ChatGPT ou Bard, des images, comme Dall-E ou Midjourney.
Générer à partir de quoi ? C’est là que cela devient intéressant. Ces IA génèrent leurs résultats à partir d’un prompt, d’une phrase saisie par l’utilisateur (c’est-à-dire ni plus ni moins qu’un descriptif de ce qu’il veut obtenir) et de données possédées par ailleurs par le système.
D’où viennent ces données ? Eh bien tout simplement de la plus grande réserve de données qui soit, à savoir Internet. Les IA sont donc nourries à partir d’informations qui leur sont fournies ou qu’elles vont chercher par elle-même.
En fait, la plus grande nouveauté apportée par ces outils est peut-être le développement de ce que l’on appelle le Machine Learning, en français l’apprentissage automatique. Le système apprend tout seul, et évolue en fonction de son apprentissage. Si l’on veut s’intéresser aux usages, Intelligence Artificielle et Machine Learning sont indissociables.
Au passage, notons que c’est aussi pour cela que peuvent se poser les problèmes de droits d’auteur. Ces outils sont censés s’inspirer des contenus qu’ils trouvent, et cela sans plagier. Mais parfois, la frontière entre inspiration et plagiat est assez fine : si je demande à Dall-e ou Midjourney de créer une image d’une souris noire avec un short rouge, le résultat ressemblera beaucoup à Mickey (qui appartient toujours à Disney jusqu’en 2024).
C’est aussi ce qui inquiète nos scénaristes hollywoodiens. Ils vivent des droits d’auteur, et pour le moment, personne ne peut affirmer avec certitude à qui appartient ce qui est créé avec une IA.
Mais alors, quels usages de l’Intelligence artificielle ?
Cela étant posé, en quoi un système apprenant tout seul peut-il présenter un intérêt, en dehors de la pure création ?
Pour montrer un exemple, je vais revenir à mon domaine d’expertise, à savoir la formation professionnelle. Depuis les années 70, même 60 diront certains, existent ce que l’on appelle des formations asynchrones. Il s’agit tout simplement de système d’apprentissage permettant aux apprenants de se former où ils veulent, quand ils veulent (anywhere, anytime on any device, pour reprendre le vieux slogan de Sun Microsystems, société pour laquelle j’ai travaillé de nombreuses années). Et pour permettre cela, les liaisons entre celui qui transmet ou partage l’information, la connaissance (formateur ou auteur) et les participants ne sont pas synchrones, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’échanges directs. Si un apprenant veut poser une question ou lever une ambiguïté, il pourra peut-être le faire à travers un forum ou un système d’aide en ligne, mais il n’aura la réponse qu’au bout d’un certain temps. A contrario, une formation synchrone est une formation pour laquelle ces échanges sont directs ; c’est le cas avec les présentiels ou les distanciels : un participant peut poser directement ses questions au formateur, et obtenir des informations complémentaires et des explications différentes. Les formations synchrones sont adaptables en temps réel.
Avant Internet, les formations asynchrones étaient ce que l’on appelait des Computer Based Training, ou CBT, des formations sur ordinateur, il s’agit aujourd’hui de tutoriels, d’Elearnings, de Serious Game, etc. Avantage de ces systèmes : on suit la formation à son rythme. Inconvénient : quand on ne comprend pas quelque chose, on ne peut pas avoir accès à une explication différente de celle qu’on vient de lire.
C’est là que les systèmes d’IA et de Machine Learning deviennent intéressants : on peut à présent commencer à imaginer des Elearnings qui s’adaptent au rythme d’apprentissage des apprenants, qui expliquent différemment, qui, petit à petit, apprennent leurs manières d’apprendre. Un coach personnel, en somme.
Les IA pourraient aussi apprendre à mieux traduire les textes écrits dans des langues étrangères. Aujourd’hui, les traducteurs automatiques ont fait beaucoup de progrès, mais ils ne savent pas reproduire l’ironie, les jeux de mots, ou la subtilité de certaines constructions syntaxiques. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les publicités en anglais traduites automatiquement qui s’affichent lorsque vous naviguez sur Internet. Le résultat est parfois risible, souvent maladroit.
Je serai aussi preneur d’un système qui traduirait correctement les guides utilisateurs et qui saurait me présenter au bon moment l’aide dont j’ai besoin, adaptée à mon besoin, construite en fonction de mon mode de pensée, voilà ce que permet dès à présent l’IA et le Machine Learning.
Aujourd’hui, Microsoft et d’autres géants de la tech développent des assistants personnels basés sur l’IA. On peut imaginer que ces assistants pourront nous aider dans beaucoup de tâches de notre vie professionnelle, de la construction d’une diapositive PowerPoint à l’utilisation de tel ou tel produit.
Au-delà des inquiétudes légitimes de certains au regard du développement des IA, force est donc de constater que les apports de l’Intelligence Artificielle et du Machine Learning sont nombreux.
Pour les développeurs et tous les professionnels de l’informatique, cela implique certainement de revoir notre façon de travailler, de nous adapter aux nouveaux usages et de répondre aux nouveaux risques pour nos utilisateurs. Ce n’est donc pas la fin de nos métiers, plutôt une nouvelle étape dans leur évolution. En réalité, avec l’IA, on n’aura jamais eu autant besoin d’informaticiens.
PS : cet article n’a pas été écrit avec Chat GPT ni aucune AI générative…