Depuis le début de l’année, vous avez peut-être lu comme moi différents articles nous présentant des avancées importantes dans le domaine de la physique quantique et des ordinateurs quantiques.
Des ordinateurs quantiques ??? Qu’est-ce que c’est donc ?
Si vous êtes fan du Marvel Cinematique Universe, vous vous dites peut-être que la physique quantique, c’est du cinéma d’anticipation, mais si vous suivez de loin les actualités scientifiques et techniques, vous pensez sans doute que c’est quelque part un mélange de Harry Potter et de Oppenheimer, pour rester dans les métaphores cinématographiques : de la physique, certes, mais beaucoup de magie.
A vrai dire, quand je me rappelle mon premier cours de physique quantique, j’avais un peu la même impression. J’avais vraiment du mal à m’imaginer un photon présent à deux endroits en même temps… Notre prof de l’époque nous avait alors expliqué que c’était normal de se sentir mal à l’aise, ça faisait toujours ça au début…
Aujourd’hui, plus de 40 ans après, je dois reconnaître que je suis toujours déstabilisé par ce concept. Mais comme je ne m’en suis jamais servi dans ma vie professionnelle, je ne me suis plus posé de questions, et je me suis donc dépêché d’oublier tout ça. Mais voilà qu’on en parle maintenant dans mon domaine professionnel.
Alors ma question est : qu’est-ce que vient faire la physique quantique en informatique ?
En fait, c’est simple : elle va nous permettre d’aller plus vite en consommant moins. Enfin, en consommant moins, pas encore, étant donné que pour le moment, les ordinateurs quantiques expérimentaux nécessitent une quantité non négligeable d’énergie. Disons qu’ils vont plus vite. On ne va pas rentrer ici dans le détail du fonctionnement d’un ordinateur quantique, essayons de simplifier en décrivant quelques phénomènes et les usages que l’on peut en faire.
La mécanique quantique affirme que dans certaines situations, deux particules ou groupes de particules peuvent être liés, et ce quelle que soit la distance qui les sépare. On appelle cela l’intrication quantique. Lorsque deux particules sont intriquées, leur état est symétrique, autrement dit, il suffit de connaître l’état de l’une pour connaître l’état de l’autre. Et ce quelle que soit la distance qui les sépare.
Et par ailleurs, des particules, encore une fois sous certaines conditions, peuvent se trouver non pas dans un état donné, mais dans plusieurs états superposés. On appelle cela la superposition quantique.
Les ordinateurs quantiques vont exploiter ces deux phénomènes. Les données vont pouvoir être échangées beaucoup plus vite grâce à l’intrication, et les calculs seront beaucoup plus rapides grâce à la superposition. C’est ainsi qu’au lieu de manipuler des bits (des 0 et des 1), un ordinateur quantique manipule des qubits, autrement dit des particules (électrons ou photons) dans des états spécifiques superposés. Potentiellement, cela permet de paralléliser des calculs.
Prenons un exemple : imaginons un ordinateur jouant aux échecs. D’ailleurs, nous n’avons pas besoin de l’imaginer, ça existe déjà. Aujourd’hui, ces ordinateurs analysent les positions et explorent successivement chaque coup possible et ses conséquences. Un ordinateur quantique sera capable lui d’examiner chaque coup et ses conséquences en même temps. Le gain de performance parait évident.
Et cela s’avère encore plus impressionnant avec des systèmes plus complexes encore que le jeu d’échec. Par exemple pour la prévision du temps. L’atmosphère est un système particulièrement complexe. De nos jours, aucun ordinateur ne peut modéliser les interactions entre toutes les molécules qui régissent les flux d’air dans l’atmosphère. Or, cela un ordinateur quantique le pourrait.
Très bien, tout cela est intéressant, mais on en parle depuis longtemps, alors où en est-on aujourd’hui des développement des ordinateurs quantiques, et pourquoi en parle-t-on davantage ces temps derniers ?
D’abord, il faut préciser que les recherches sont loin d’être récentes, puisqu’elles datent des années 90. À cette époque, la preuve a pu être faite que le concept était viable. Depuis une trentaine d’années, des tests ont été réalisés par de grandes entreprises, comme Microsoft, Google ou IBM par exemple. Des états comme la Chine se sont également lancés. Tous ces acteurs ont créé des processeurs quantiques.
Pour le moment, ces systèmes existants sont exclusivement conçus pour un calcul donné. En clair, il n’existe pas encore d’ordinateur quantique universel, même dans les laboratoires, et les processeurs existants ne manipulent que quelques dizaines de qubits, là où il en faudrait des milliers. Mais ces derniers temps, on a vu différentes avancées.
Chez IBM, leur processeur quantique à 127 qubits est maintenant capable d’atténuer ses erreurs. En effet, le problème de ce type de système est le niveau d’incertitude inhérent aux particules quantiques. Plus on accumule les qubits, plus le risque d’erreurs liées aux états fluctuants des particules augmente. Aujourd’hui, IBM commence à maîtriser ce problème dans ses systèmes. En parallèle, Google a annoncé que son processeur venait de résoudre un problème qui aurait pris 47 ans à un ordinateur classique en quelques secondes.
On le voit, les choses avancent dans ce domaine, la recherche s’accélère. Cependant, on est encore loin des applications commerciales, et surtout des applications grand public. Certes, certains laboratoires pharmaceutiques commencent à lancer des calculs de configurations de molécules sur des ordinateurs quantiques. Mais ne cherchez pas, vous ne trouverez pas encore chez vos revendeurs préférés des laptops quantiques, et aucun constructeur de téléphone n’envisage d’implanter cette technologie dans nos smartphones.
En tout cas pas aujourd’hui.
Alors quelles seront les conséquences dans les années à venir ?
Deux domaines vont être touchés : d’une part, tout ce qui concerne le calcul numérique. Nous avons parlé de la météo, mais on peut ajouter aussi les simulations, les calculs de structure, la recherche spatiale, etc.
Et d’autre part la cryptographie et la sécurité informatique. En effet, rappelons qu’il n’existe pas de système inviolable. Simplement des systèmes avec des clés de chiffrement que les ordinateurs classiques mettent trop de temps à craquer. Mais avec les ordinateurs quantiques, ce sera une autre paire de manches. Il faudra donc sûrement imaginer d’autres systèmes.
Et à terme, il faudra aussi imaginer des logiciels adaptés, des langages adaptés, des périphériques adaptés. Autrement dit, c’est toute une industrie que l’émergence de l’informatique quantique conduira à redéfinir.
Soyons francs, pour le grand public comme pour les professionnels de l’informatique, il est difficile de dire aujourd’hui ce que seront ces changements. Mais j’ai néanmoins une bonne nouvelle : vous n’aurez pas besoin de comprendre la physique quantique pour l’utiliser au quotidien dans ces nouveaux systèmes informatiques.